Les Français ne semblent pas très familiers du jargon du numérique. «Open source», «big data», chatbot» ou « AI » sont autant de mots obscurs pour une grande majorité de Français. Selon une étude parue en 2018, 88% des français disent avoir de la peine à maîtriser les anglicismes du numérique. D’après la même étude, ces lacunes freineraient certains salariés à acquérir les compétences digitales nécessaires pour comprendre le monde tel que nous le connaissons aujourd’hui.
Des résultats très décevants
Selon un sondage conjoint du cabinet de conseil en stratégie, SBT Human(s) Matter, et de l’institut de sondage OpinionWay, les Français auraient maille à partir avec les termes informatiques. Cette enquête basée sur un échantillon représentatif de la population hexagonale, avait pour but de faire un état des lieux de l’existant afin de proposer des solutions.
Cette étude impliquait un millier de personnes, 1006 personnes pour être exact, et prenait en compte divers paramètres comme la situation géographique, la profession et l’âge. Le sondage couvrait huit thématiques du digital, allant du webdesign au big data, en passant par la cybersécurité, l’e-commerce et la culture web.
Pour vrai dire, les chiffres sont loin d’être bons. Sur un score total de 1000 points, les fiers Gaulois n’ont obtenu en moyenne que 291 points, une note extrêmement médiocre. Pour 40% des questions du questionnaire à choix multiple, les réponses étaient « je ne sais pas ». Le plus curieux est que cela touche toutes les générations, y compris les Français nés à l’ère du digital.
Un retard des femmes sur les hommes
L’étude a montré que les connaissances informatiques des femmes étaient nettement inférieures à celles des hommes. Au cours du sondage les hommes avaient en moyenne obtenu 325 points contre 255 en moyenne pour les femmes. D’après les auteurs de l’étude, ce gap pourrait s’expliquer par la faible représentativité des femmes dans l’écosystème du digital.
Chose curieuse, les filles nées entre 1980 et 1990, celles qu’on nomme les «digitales natives», maîtrisent moins le jargon du digital que les aînées de la génération X, nées entre 1960 et 1970. Lors du sondage, elles avaient obtenu un score de 270, soit 15 points de moins que les représentantes de la génération X. En dépit du fait que ces filles aient grandi avec le digital et qu’elles utilisent plus régulièrement les outils informatiques, leurs connaissances du jargon et de la science informatique sont plutôt limitées.
Des lacunes dans des domaines stratégiques
L’étude a aussi révélé que les Français avaient des lacunes dans des domaines clés comme la cybersécurité. L’étude a, par exemple, montré que 56% des femmes nées entre 1980 et 1990 n’avaient aucune connaissance en matière de sécurité informatique. D’après les auteurs, cela pourrait constituer un risque majeur pour les entreprises où ces personnes travaillent.
En ce qui concerne les data sciences, 69% des personnes interrogées ont confondu statisticiens et data scientists. De l’avis des auteurs, cette lacune peut empêcher les salariés de saisir ces nouvelles opportunités d’emploi. La majorité des sondés ne savaient rien des chatbots, ces robots conversationnels mus par l’intelligence artificielle.
Pour le monde de l’entreprise, il s’agit d’un désastre, car les employés frappés par de telles carences seront tout simplement incapable de saisir les enjeux stratégiques aux quels sont confrontées les entreprises dans lesquelles elles travaillent.
Un retard de longue date
En France, la prise de conscience de la nécessité d’enseigner l’informatique en tant que discipline scientifique se développe. En 2012, un nouvel enseignement optionnel de l’informatique et des sciences numériques avait été introduit au cours de la dernière classe scientifique du secondaire. La feuille de route numérique présentée par le gouvernement en mars 2013 insistait sur l’apprentissage des utilisations et du rôle des applications numériques dans la pédagogie, mais soulignait également l’importance de l’enseignement de l’informatique.
Dans le rapport Mathiot destiné à reformer le lycée d’ici 2021, les experts recommandent un renforcement de l’enseignement des sciences informatiques. Selon le rapport, il est impératif que l’instruction digitale des élèves soit renforcée afin de leur fournir un minimum de culture numérique. Ce rapport a également préconisé de former les formateurs, car bien que les équipements soient disponibles, peu nombreux sont ceux qui savent en faire un usage adéquat. Pierre Mathiot va jusqu’à parler de « Plan Marshall pour l’enseignement de l’informatique ».
Un problème européen
En 2014, l’Union Européenne avait averti qu’il y aurait plus de 900.000 postes vacants en 2020 dans le secteur informatique, si rien n’était fait. Les États-Unis sont encore loin devant l’UE. 18 des 25 meilleures universités en informatique sont basées dans ce pays. La plupart de ces universités créent des pôles technologiques et attirent de grandes entreprises technologiques, ce qui en fait un lieu idéal pour que les jeunes puissent prospérer dans le secteur des technologies. Les pôles technologiques européens comme Londres, Berlin et Paris sont également de grands centres universitaires, mais ils sont toujours à la traîne derrière les États-Unis et de la Chine.
Des carences qui pourraient coûter cher à l’ensemble du pays
L’impact considérable de l’informatique est aujourd’hui universellement reconnu. Au début du 21ème siècle, l’informatique a radicalement transformé de nombreux domaines de l’activité humaine, de la transmission des connaissances à la gestion des entreprises, en passant par la création artistique et l’administration publique. L’automatisation de l’information joue un rôle de plus en plus important dans la création de richesses et d’emplois dans le monde entier, que ce soit directement dans l’industrie informatique ou dans des domaines qui en dépendent fortement, tels que l’aéronautique, l’automobile et les télécommunications.
Nous sommes à l’ère de la révolution digitale et les nations qui se développeront sont celles qui auront une maîtrise élevée de l’outil informatique. Aucun pays ne peut actuellement s’offrir le luxe d’ignorer cette discipline. Pour preuve, la Chine et les Etats-Unis se livrent une guerre sans merci pour être les premiers à construire l’ordinateur le plus rapide de tous les temps et les pays s’évaluent désormais à la puissance de calculs qu’ils possèdent.
Le niveau de connaissance de la science informatique pourrait constituer une entrave au développement du pays si rien n’est fait pour améliorer les connaissances des Français en informatique. En effet, tous les secteurs d’activités pourraient gravement souffrir de la situation.
Le jargon informatique est peut-être en anglais pour la grande majorité des termes, mais cela ne peut en aucun cas excuser l’incurie de nombreux Français dans ce secteur. Maîtriser l’informatique n’est pas un luxe, mais une nécessité à laquelle on ne peut déroger dans ce siècle. Cette science ne se limite pas aux loisirs. Elle est bien au contraire devenue le pilier central du développement économique et technologique. Les conclusions de cette étude devraient donc être prises avec le plus grand sérieux afin que les décisions idoines soient prises.